Dans la maison de bonne maman....
Des strates de souvenirs accumulés en font le musée de la famille.
Je me surprends à rêver aux familles sans histoire, aux familles qui ont su ne pas s’encombrer de leur passé, toutes entières dans leur époque et leur génération. Mais, pourtant, qui a la chance d’avoir une maison où se sont succédées plusieurs générations de ses ancêtres n’est jamais seul.
Aux murs, des portraits mélancoliques de jeunes femmes qui semblent savoir leur mort prématurée ou trop tardive, d’hommes suffisants, fiers de leur réussite et de leur nombreuse descendance.
Dans cette chambre, on s’est penché sur des berceaux avec l’espoir, chaque fois, que celui-ci, ce tout petit, redresserait l’usine et materait les ouvriers ou que celle-ci contracterait un mariage avantageux. On espérait le nouveau né ni trop beau, ni trop intelligent pour ne pas tenter le sort, juste assez pour qu’il figure dans le projet familial.
On s’est penché, aussi, en larmes, sur des cercueils, sur des corps volés par la grippe espagnole, la vieillesse ou les accouchements.
Chaque génération a laissé des traces, des objets familiers : une robe d’avocat au col d’hermine, des tableaux et des pastels, des meubles qui sentent la cire, l’armoire à linge de la tante Joséphine, des napperons et des chemises brodées, des masques africains, des ivoires asiatiques, des timbales en argent, des emprunts russes, des actions du Laboratoires de Léon, de la verrerie Imbert, de la visserie de Robert et Jean.
En nous ils ont posé leur reste de vie, leur espoir d’éternité. Nous avons le pouvoir de leur ôter en sacrifiant les objets qui les abritent encore. Aurons-nous le courage de braver les fantômes ? Je les sens autour de moi prendre le contrôle de la maison, occuper le vide de nos âmes. Est-ce la punition ultime de devenir la réincarnation de nos morts ? Voilà, j’en suis là à fouiller les tiroirs, chercher les secrets de l’intime comme si j’avais l’œil collé à la serrure. C’est à nous maintenant de décider si nous serons encore les gardiens non du souvenir mais des souvenirs…
"Riche, défie-toi des richesses
L’or ne peut santé acheter
Physique même doit mourir
Toute chose naît pour finir
La peste passe qui tout emporte…
Beauté n’est que fleur
Que rides dévorent
Clarté tombe de l’air
Reines sont mortes, jeunes et belles
Poussière a clos les yeux d’Hélène
Malade suis et dois mourir
Seigneur, ayez de nous merci ! »
Complainte de Nash
#je dis